L’opposition langage littéraire / langage ordinaire. La conception littéraire de Maurice Blanchot comme réponse aux sciences du langage
Abstract
Le système conceptuel de Maurice Blanchot s’appuie sur l’opposition entre le langage ordinaire, outil de communication, et le langage littéraire, outil de réflexion au sens d’un travail littéraire sur la langue. Dans le langage ordinaire, le mot est égal à lui-même. Il se suffit. Il a divers sens identifiables. Dans ce contexte, le mot reste un moyen. Il obéit aux injonctions de l’usage courant de la langue. Le mot a alors le pouvoir d’offrir une certitude dans la perception du sens, mais cela ne peut jamais devenir littérature selon Blanchot. Pour dépasser l’usage pratique et fonctionnel de la langue, l’écrivain fait intervenir ce que l’on appelle communément le style, autrement dit la manière de faire travailler la langue pour faire ressortir le combat que l’écrivain mène avec ou contre elle, selon les circonstances.
Avec Blanchot, cette relation prend une forme toute particulière, forme dans laquelle le lecteur joue un rôle prépondérant. Ainsi, quand le lecteur entre dans la phrase, il ne se contente pas de la lire. Il l’ouvre et cherche à creuser ses nuances et ses différences. Il ne s’agit pas de la différence entre les mots, ni de la différence entre plusieurs sens du même mot. Lire signifie, avec Blanchot, mettre en rapport le mot avec lui-même : une fois regardé, le mot se défait de l’intérieur et se perd en partie dans l’inconnu. Cet inconnu a la même importance que le mot, l’inconnu devient cette partie du mot, la part cachée, la part du feu pour Blanchot ou la part maudite pour reprendre la formule de Bataille. Arriver à saisir la couche obscure du mot, cela signifie que le lecteur s’est éloigné du langage ordinaire pour entrer dans l’intériorité du langage littéraire. La question qui se pose est de savoir si cette intériorité, une fois extériorisée par l’écriture, prend la forme de ce que les linguistes appellent ‘la communication’. La littérature communique-t-elle quelque chose en fin de compte ?
Conçue par la linguistique comme un transfert d’informations dans le cadre d’un dialogue entre un auteur et un lecteur, la littérature comme acte de communication est contestable pour Blanchot qui sort la littérature de sa forme matérielle pour la placer dans une lutte plus intime, celle qui a lieu dans l’épaisseur du mot, lutte qui arrache l’auteur comme le lecteur aux dialogues habituels pour les immerger dans un monde dont l’agencement ne suit plus les règles de la communication :
Là où, à la fin, l’oeuvre semble être devenue le dialogue de deux personnes en qui s’incarnent deux exigences stabilisées, ce “dialogue” est d’abord le combat le plus originel d’exigences plus indistinctes, l’intimité déchirée de moments irréconciliables et inséparables, que nous appelons mesure et démesure, forme et infini, décision et indécision …1
Nous comprenons que, pour Blanchot, même finie, l’oeuvre littéraire ne « dialogue » pas avec son lecteur, mais le pousse à ouvrir ses innombrables et infinies voies qui préparent son existence. Comment répondent les sciences du langage, la linguistique plus précisément, à cette approche ‘inhabituelle’ d’un texte, qui n’est pas un texte comme les autres, mais un texte littéraire, c’est ce que nous nous proposons d’analyser dans cet article.
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